Le Weisshorn, fierté des Valaisans, culminant à 4506m!
Que fait un guide pendant ses vacances? …..il part en montagne! Début Août, nous partons entre copines pour un sommet qui nous a fait rêver dans nos débuts d’alpinistes : Le Weisshorn (L’arête Nord du Weisshorn)
Petit récap de l’histoire du Weisshorn
Cette imposante pyramide a été gravie pour la première fois en 1861 par le célèbre physicien irlandais John Tyndall et les guides JJ. Bennen et U. Wenger. Ils sont passés par l’arête Est du Weisshorn, l’actuelle voie normale. L’alpiniste et écrivain Emile Javelle en a joliment conté la deuxième ascension. 34 ans plus tard les guides A. Imboden et JM. Biner escaladent la difficile arête sud, la « Schaligrat » accompagné de l’anglais E. Broome. L’arête Nord du Weisshorn fut grimpée en 1898 par H. Bielhy et son guide H. Burgener.
Puis en 1900 G.W. Young ouvre une voie à l’aplomb du Grand Gendarme. 2 ans plus tard, une équipe de guides Valaisans l’équipent de cordes fixes sur plus de 500m.
Gaston Rébuffat citait souvent l’Aiguille Verte comme « la montagne sur laquelle on devenait montagnard », le Weisshorn est son équivalent Valaisan!
Il y’a 10 ans nous découvrions ce sommet et son arête nord depuis le Bishorn, « le 4000 des Dames », lors d’un raid à ski au cœur de la couronne de Zinal ; à cette époque pas de demi-pensions dans les refuges, nous étions parties avec du gaz et de la nourriture pour 5 jours sur le dos… Aujourd’hui le scénario se répète : COVID oblige, il n’y’a plus de places à la cabane du Tracuit! Nous quittons donc le parking chargées de notre bivouac (matelas, duvet, gaz, petit diner sympathique, pyjama licorne…)
Les 1500m de montée se passent plutôt bien, d’abord en forêt et à l’ombre, puis dans la « presque fraicheur » des alpages du torrent du Barmé. Une ou deux pauses permettent à nos petites épaules de souffler un peu. Enfin nous arrivons aux chaînes du col du tracuit, et à midi nous trouvons notre emplacement de bivouac 6 étoiles!
L’après-midi est consacré à siester au soleil, à secourir les alpinistes qui trébuchent malencontreusement dans le pierrier devant nous, puis à re-siester! Puis un peu de yoga, une soupe et au lit!
Récit de l’ascension de l’arête Nord du Weisshorn
1h, le réveil sonne, le ciel est étoilé, la Lune scintille tellement qu’on pourrait presque se passer des frontales!
La marche d’approche est déjà un sommet en soi ; les 1000m de montée nous éprouvent un peu. Anaïs est peu acclimatée, je suis en début de rhume… Belle équipe!! Le sommet du Bishorn nous accueille enfin à 4151m, frais et venté ; notre terrain de jeu favori nous attend , une belle arête mixte effilée!
La première partie de l’arête est neigeuse et nous avançons bien. Le regel est bon, les crampons mordent bien. Un premier passage rocheux nous réveille un peu, puis nous retrouvons la neige jusqu’à l’épaule 4202m. La partie technique commence, nous sortons la quincaillerie (friends, coinceurs, quelques dégaines et beaucoup de sangles).
Anaïs part en ascendance à gauche sur un ensemble de rampes peu saines… 20m plus haut le rocher est meilleur, et nous prenons pied sur le sommet du premier ressaut. Le jour commence à pointer le bout de son nez, pour le soleil il faudra encore attendre! Un guide suisse et son client nous rattrapent ; nous les laissons filer avant la première désescalade, raide mais bien fournie en prises (possibilité de descendre en rappel sur 10m). 50m plus loin une deuxième désescalade nous attend, plus raide. C’est le fameux passage en 4a que nous remonterons au retour…
La suite de l’arête est assez facile mais aérienne ; la petite couche de neige tombée 2 jours avant ne gène en rien l’ascension. Nous arrivons au pied de la « dalle verglacée », passage qui peut poser problème selon les conditions. Nous avons encore les crampons et la dalle est plus en neige qu’en glace, du coup « ça passe crème »! Deux plaquettes permettent de s’assurer correctement, et un relais confort nous attend sur une belle terrasse.
8h, nous rejoignons le pied du Grand Gendarme.
Nous sommes un poil en retard sur l’horaire prévu alors nous prenons le temps de faire un petit point ; analyse des risques méthode 3X3 : météo – conditions – humain :
- la suite est encore longue et nous sommes plutôt en « petite forme ». Nous pensons aussi au retour qui demandera pas mal d’énergie et de concentration.
- L’arête est encore enneigée mais ça ne gène pas la progression, même si objectivement ça ralenti un peu de grimper en crampons.
- La météo annoncée au beau fixe se confirme pour le moment, pas d’orages prévus.
- Nous avions prévu assez à manger pour redormir au bivouac et donc prévu de redescendre par le même itinéraire.
Conclusion : nous fixons une barrière horaire à 12h afin de redescendre le tourmenté glacier du Turtmann de jour, et sommes d’accord pour faire 1/2 tour à tout moment si l’une d’entre nous ne se sens plus suffisamment en forme pour évoluer en sécurité. De même nous nous surveillerons mutuellement afin d’éviter tout « boulette » ou faute d’inattention dans la descente!
Fin de la discussion, début de l’escalade! Nous avons posé les crampons et je pars dans les belles longueurs d’escalade du Grand Gendarme. 2 longueurs de 25m en bon granit remontent un dièdre ouvert bien fourni en prises. Les derniers mètres bien raides tirent un peu sur les bras ; l’escalade à 4000 avec un sac peut demander quelques efforts supplémentaires! Relais chainé sur une belle terrasse, puis Anaïs repars devant pour rejoindre le fil de l’arête 10m plus haut.
Encore quelques pas d’escalade nous attendent, puis une grande traversée sous le sommet du Grand Gendarme nous amène sur la neige, au pied de l’arête sommitale.
Il est 9h45, deuxième point « gestion du risque » : nous abaissons notre barrière horaire à 11h30, et passons en mode « vigilance avancé » afin de bien cramponner. Nous laissons une partie du matériel techniques sur un rocher afin de s’alléger un peu.
L’arête sommitale est magnifique, objectivement une des plus esthétiques des Alpes! Longue arête neigeuse très effilée et bien raide, pas question de s’emmêler les crampons! Les 200m de montée sont difficiles pour les jambes, nous avançons lentement mais surement. Un pas après l’autre, les 8 pointes bien ancrées, pointe du piolet bien plantée. 11h, la croix sommitale nous accueille! Nous prenons le temps de faire une vraie pause afin de manger, boire et s’assoir un moment! 3 cordées sont déjà dans la redescente de l’arête Est, et une 4ème arrive au sommet, bien fatiguée également.
Petites photos et nous prenons le chemin de la descente. Concentrées et appliquées afin de rendre Armand Charlet fier de notre cramponnage sur cette arête effilée, nous rejoignons notre « grappe de matos » au départ des rochers. Grande traversée mixte puis désescalade rocheuse, et nous rejoignons les rappels du Grand Gendarme. Chainés et confortables, nous en tirons deux de 25m pour rejoindre la terrasse de départ. Puis nous sommes de retour sur le fil de l’arête, alternant marche d’équilibristes, passages légèrement enneigés et petits pas de désescalades. La descente demande de la concentration mais ne mange pas autant d’énergie! Nous avons gardé les crampons afin d’éviter toute « zipette » (comprendre « pied qui glisse sur un morceaux de rocher verglacé ou enneigé… ») ; avec le petit vent froid la neige n’a pas beaucoup fondu ce matin. Nous arrivons à la « dalle verglacée » qui se descend en un rappel de 25m.
La remontée sur le ressaut suivant est joliment sculptée et facile, sa traversée l’est également.
Le coup de barre arrive au pied du ressaut en 4a, nous prenons le temps de faire une petite pause gâteaux. L’escalade est raide mais bien protégeables (2 pitons en place et friends faciles à poser). Traversée horizontale, escalade facile du premier ressaut, quelques dizaines de mètres dans les rampes en rocher douteux, et nous retrouvons l’épaule 4202m! Encore 20 minutes de concentration sur l’arête neigeuse un peu effilée et nous nous accordons une pause boisson avant la remontée au Bishorn.
Fin des difficultés!
Il est 17h45, nous sommes de retour au sommet du Bishorn avec les belles couleurs de fin de journée. Nous nous laissons descendre sur la voie normale, vigilantes aux grosses crevasses qui traversent la trace assez régulièrement… A 19h nous sommes ravies de nous effondrer littéralement sur nos matelas, enrhumées, fatiguées mais repues de notre beau voyage! Une cordée d’italiens vient à la pêche aux infos ; nous serons ravis de les entendre partir cette nuit, bien au chaud dans nos duvets! Demain une longue descente nous attend pour rejoindre Zinal, de nouveau chargées comme des mules, mais ce soir c’est la tête toute légère que nous nous endormons sous les étoiles, face à notre belle arête!