A petits pas vers l’autonomie en alpinisme… ou qu’est ce que le guide manigance avec tout son matériel?

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Le cœur de notre métier de guide consiste à mener une ou plusieurs personnes sur un itinéraire de montagne, et à ramener cette (ou ces) dite(s) personne(s) à bon port (la vallée et la maison), et si possible en bon état…

 

Le terrain de jeu peut-être rocheux, neigeux, mixte, glacé ou glaciaire, peut se dérouler à toute altitude, et l’on peut être chaussés de chaussons d’escalade, de « grosses » (chaussures d’alpinisme), de crampons, de skis, de combinaison néoprène…

La réalité est évidemment infiniment plus riche! Les journées partagées ensembles étant remplies d’échanges, d’émotions, de connaissances, de découvertes…

Un autre aspect important remplit également ces journées de partage : l’apprentissage!

Nous enseignons quotidiennement les techniques de bases de déplacements en crampons, en escalade ou à ski, afin d’évoluer en sécurité tout en économisant son énergie ; cependant il est également intéressant de comprendre quelques techniques de sécurité que nous mettons en place de manière quasi-invisible tout au long d’une journée en montagne.

Fin août, nous voilà partis au refuge Torino faire deux journées de formation sur les techniques de bases de l’alpinisme. Au programme : méthodes d’encordements, techniques de progression sur arêtes, sécurité en terrain glaciaire et exercices de sauvetage en crevasse.

La logistique : un futur alpiniste bien motivé à devenir autonome, un cobaye surmotivé pour « se jeter dans une crevasse » et une secrétaire photographe ravie de monter un nouveau produit.

 

Nous embarquons au SkyWay chargés de cordes, broches à glaces, sangles, cordelettes, corps morts en bois, piolets, crampons, casques, saucisson, fromage… et crème solaire! Direction le col des Marbrées, où une belle cuvette non crevassée et éloignée d’éventuelles chutes de pierres nous servira de terrain d’entrainement pour cette première journée. Inutile de se mettre dans le rouge en envoyant notre « cobaye motivé » dans une vraie grosse crevasse tout de suite…

Nous commençons par inspecter le terrain à l’aide d’une sonde avalanche, afin d’être sûrs qu’une nouvelle crevasse cachée n’a pas fait son apparition depuis l’automne dernier, puis nous passons à la pratique ; tout d’abord, explications des termes techniques : des principes généraux de l’encordement sur glacier aux méthodes de sauvetage en crevasses, en passant par le mode d’emploi de tout le matériel accroché à nos baudriers. Corps-morts, broche à glace, tête de mouflage, micro-traction et autres poulies autobloquantes, machard/prussik, noeud valdotain, cordelette, sangle de 120, tibloc… tout y passe!

PLACE A L’ACTION!

 

-Que dis-tu de ce magnifique lever de soleil? -J'ai froid aux pieds
-Que dis-tu de ce magnifique lever de soleil?
-J’ai froid aux pieds

 

 

Luc, en tant que futur alpiniste motivé, a pour mission de sauver Chloé de sa fausse crevasse. Ils marchent donc encordés à 10m l’un de l’autre, puis Chloé s’élance en toboggan dans la cuvette.

Retenir la chute, sécuriser la cordée en réalisant un corps-mort solide, y fixer la tête de mouflage, s’auto-assurer pour aller voir la « victime » au fond de la crevasse, sécuriser la lèvre de la crevasse afin que la corde ne la cisaille pas… mettre en place les différents autobloquants pour démultiplier le poids de la victime, et tirer…. écarter les noeuds, tirer… écarter les noeuds, tirer, souffler… répéter l’opération une quinzaine de fois, souffler, ne pas s’emmêler les pinceaux au milieu de tout ces brins de cordes, tirer, souffler…

Luc réalise à quel point ça demande de l’énergie pour sortir seul une personne d’une crevasse!

 

Petit débrief : mettre en place un mouflage c’est assez simple dans les livres, plus complexe sur le terrain ; tout prend du temps et demande une certaine lucidité pour être efficace. Si on rajoute le stress de la réalité, un peu de brouillard, une éventuelle blessure pendant la chute, ça peut vite tourner au plan galère… d’où l’importance de bien préparer sa sortie en amont : choix de l’itinéraire, informations sur les conditions, entrainements réguliers afin d’être préparé à l’imprévu.

Nous passons ensuite à des petits exercices rapides et ludiques ; simulation de chutes en s’encordant à 3m, en ne tendant pas la corde, en surprenant son collègue, avec et sans les crampons… conclusion, plus il y’a de distance entre deux personnes et plus la corde est tendue, moins la chute est longue!

Enfin passage en revue d’autres techniques : comment se sortir seul de la crevasse si notre collègue de cordée est inexpérimenté, mettre en place rapidement un mouflage boucle, tirer à plusieurs sur un mouflage simple…

Nous discutons également de la chaine de secours dans les Alpes ; comment prévenir l’hélico? comment se localiser? comment ça se passe en ski quand nous ne sommes pas encordés? comment gérer une blessure?

Nous rentrons ensuite au refuge Torino pour poursuivre nos discussions, de plus en plus philosophiques, peut-être aidées par la Grappa maison d’Armando le maître des lieux…

Pourquoi va-t-on en montagne? Qu’est ce qui nous pousse à gravir des sommets? Georges Mallory répondait simplement « parce qu’elles sont là« ,   Livanos en parlait avec un humour décalé (« pour moi l’idéal c’est de partir d’en bas, d’arriver en haut et de revenir en bas. Et pas trop vite… »)   ;   Rébuffat parlait de « mener son corps là où une première fois le regard s’est posé »…   Samivel, le local du ValMontjoie, en a fait de magnifiques illustrations, et aujourd’hui  Cédric Sapin-Dufour manie l’art des mots pour aborder les différentes facettes de l’alpinisme.

 

2ème jour, l’objectif est de faire un exercice en crevasse grandeur réelle! Nous partons en direction du Petit Flambeau où les crevasses sont nombreuses et grosses. Après 1/2h de marche nous trouvons enfin crevasse à notre goût ; objectivement elle est vraiment grosse pour un exercice mais Babou est franchement curieux et motivé de descendre dedans. Nous passons une petite heure à sécuriser l’exercice : enterrer des corps morts, mettre de broches à glace, relier le tout pour faire un « relais béton ».

Les garçons s’encordent à 15m l’un de l’autres et je contre-assure Luc sur notre « relais béton » ; il serait mal venu que les garçons tombent pour de vrai dans cette crevasse dont nous ne voyons pas le fond! C’est parti, Babou se rapproche lentement du bord de l’abime, Luc « surtend » la corde et se prépare à enrayer la chute de son partenaire ; il faut dire que la crevasse est vraiment grosse et rend l’exercice plutôt impressionnant…

Chute, arrêt efficace, mise en place de deux broches solides et de la tête de mouflage. Luc s’en sort à merveille, je le laisse donc faire seul et vais prendre des nouvelles de Babou. Il est suspendu seul dans son trou assez impressionnant alors nous l’informons de l’avancée du mouflage. Je supervise les nœuds de Luc et fais un peu de place autour de lui, mais il a bien enregistré l’exercice de la veille. Enfin tout est prêt, il commence à remonter Babou ; nous tirons à deux, ça va quand même mieux! Nous voyons enfin la tête de Babou émerger de la crevasse, soulagé et content de voir le soleil! Pause bien méritée, ça épuise cette 1/2h d’effort intense!

Afin de compléter ce week-end d’apprentissage nous remontons par l’arête nord du Petit Flambeau. La première partie est rocheuse, présentant quelques pas d’escalade facile, et la seconde est neigeuse, belle initiation au cramponnage. C’est la découverte pour Babou à qui nous en demandons beaucoup pour son premier rôle de cobaye. Luc en revanche se régale à chercher des béquets solides derrière lesquels assurer son compagnon.  (« béquet » = bloc rocheux inarrachable derrière lequel on peut passer la corde sans risquer de la coincer, de l’abimer, ou d’arracher le béquet. Si ce dernier cas se présente, c’est que le béquet n’était pas si inarrachable que ça… ce point met donc en valeur l’intérêt de le tester : à savoir le secouer, pousser, tirer, taper dessus afin d’être sûr qu’il ne bouge pas d’un poil!)

Nous en profitons pour voir l’encordement sur arête rocheuse, un peu différente de l’encordement sur glacier, et abordons les différents moyens de grimper en sécurité. Comment s’assurer correctement? Comment assurer son partenaire? Comment savoir où passer? Comment jauger la difficulté? Quelle marge prendre par rapport à son niveau d’escalade? Peut-on faire des rappels n’importe où? Qu’est ce qu’un relais? Quelle est la différence entre un piton, un coinceur et un friend?

Sommet du Petit Flambeau, se sera notre sommet du week-end! Et retour à Torino, bière de la victoire et redescente dans la vallée, la tête remplie de glace pour l’un, de nœuds pour l’autres, et de photos pour la dernière!